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Être PM dans les médias, Episode 1 : Formater l’information

10 Minutes

Etre product manager c’est être immergé.e dans un secteur d’activité, découvrir ses enjeux business et travailler au contact de ses parties prenantes et de ses utilisateurs. C’est ce qui rend les expériences de product managers si variées.

Dans cette série d’articles, deux PM vont te raconter leurs expériences dans le domaine des médias et des particularités de ce domaine dans l’exercice du product management. Cette semaine c’est Apolline à la rédaction.

Commençons par le commencement : qu’est ce qu’un média ?

Un média est tout simplement un support d’information. Qu’il s’agisse d’une peinture rupestre, d’un orateur sur la place publique, d’un journal local ou national, d’une émission radio ou d’un live twitch, ces médias répondent tous à un besoin principal des personnes : être informé des événements, des idées et des évolutions de leur temps.

Si ce besoin d’information est une constante des sociétés humaines, les supports de cette information sont, eux, soumis aux évolutions sociétales et technologiques qui ont permis au fil du temps d’en élargir la portée et l’impact.

De notre époque de changements toujours plus rapides portés par le web, les réseaux sociaux, l’IoT et l’IA émerge un des principaux enjeux du product manager dans les médias : formater l’information pour la rendre attractive et l’adapter aux usages changeants.

Le marchand de journaux, source image : Larousse
Quand tu as ignoré trop longtemps tes notifs push (source image: Larousse)

Capter les audiences

Posons le décor, je vais parler principalement des médias d’information numérique généralistes pour deux raisons : d’une part c’est dans ce secteur que j’ai été PM et d’autre part c’est à eux que l’on pense le plus instinctivement lorsque l’on parle de médias.

On a tout d’abord une cible d’utilisateurs potentiels extrêmement large, globalement toute personne en capacité de lire ou entendre une information et disposant d’une connexion internet et d’un device. A titre d’exemple en France près de 60% des personnes lisent des journaux et magazines en ligne.

Ces utilisateurs ont un temps et une capacité d’attention limités pour consommer de l’information.

Quand à la concurrence, une image vaut mieux que de longs discours.

illustration paysage médiatique Français, source : le monde diplomatique

Sans entrer ici dans le débat sur la concentration des médias, une cartographie non exhaustive des médias français. Source : https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA

Enfin, tous ces acteurs se partagent une quantité limitée d’informations d’intérêt public, souvent reprises de l’AFP en ce qui concerne l’actualité mondiale : lorsqu’une information importante tombe, tous les acteurs en parlent en même temps.

Comment tirer son épingle du jeu dans un contexte aussi concurrentiel ?

Il faut retourner à la source principale de la consultation d’infos sur le web : les moteurs de recherche.

Rares sont les utilisateurs qui se rendent sur la homepage d’un site d’info pour consulter les dernières nouvelles. Nous sommes bien plus susceptibles de cliquer sur un résultat de recherche qui apparaît “A la une” sur Google, un lien partagé sur un réseau social ou sur le fil d’actu de notre smartphone.

graphique source trafic média (SEO 80%)

Les sources de trafic en décembre 2023 sur une des marques pour lesquelles j’ai travaillé, pas forcément représentative de l’ensemble des médias, mais cela vous donne une idée de l’importance du SEO.

En ce qui concerne les réseaux sociaux , ceux-ci ont fait exploser la viralité des contenus d’information (et encore davantage des fausses informations) mais aussi remodelé leur format. Un article ou une vidéo n’est plus nécessairement consommé comme faisant partie d’une édition, d’un marque, d’un univers médiatique cohérent, mais désormais “à l’unité” au gré des partages et du nombre de réactions. Ils vont également impacter le format des contenus et notamment la prédominance de la vidéo, désormais incontournable. Et au format portrait s’il vous plait, si vous voulez rajeunir votre cible.

D’ailleurs quand je parle de “web” il faut entendre très majoritairement “webmobile” car sur les marques pour lesquelles je travaille cela représente près de 80% des visites.

En tant que PM je dois me forcer à penser mobile first en conception, car quand on travaille sur desktop toute la journée on oublie facilement que ce n’est pas représentatif de la majorité des usages.

En ce qui concerne les applications on va travailler les notifications push. Mais le premier enjeu est de convaincre les usagers de télécharger l’app ce qui demande un niveau d’engagement déjà bien élevé vis-à-vis de la marque.

Médias traditionnels VS Digital natives

Dans le secteur des médias généralistes où la concurrence est rude, le combat se fait à coup de SEO. Mais dans une stratégie plus long terme le vrai champ de bataille est sur les réseaux sociaux. C’est de là que naissent la plupart des nouvelles marques (Hugo décrypte, Brut., Konbini etc.) qui se sont bâties sur l’usage des utilisateurs les plus jeunes, plus technophiles et usagers de réseaux sociaux, et qui ont aussi devant eux de nombreuses années de consommation de médias.

De mon expérience chez une marque de presse, la première cause de désabonnement était…le décès de l’abonné. J’inclus ici les abonnements papiers, mais avec une base utilisateurs de 63 ans en moyenne les plus de 80 ans représentent une part non négligeable des abonnés et donc du chiffre d’affaires récurrent à disparaître très rapidement.

Rajeunir l’image de marque et donc travailler sa stratégie digitale et social media est donc une vraie priorité business et même un enjeu de survie.

Pour certaines marques où le papier était encore considéré par les plus anciens comme le produit noble, et le numérique comme accessoire, c’est une petite révolution qui doit se produire très rapidement. Mais pas trop rapidement non plus au risque de perdre la base actuelle, encore attachée à une marque parfois historique, une tradition familiale, une référence pour eux.

Se renouveler sans perdre leur identité, c’est l’enjeu d’équilibriste des médias traditionnels tandis que les médias digital natives ont davantage d’enjeu de conquête et de fidélisation.

Etre PM dans les médias c’est travailler et capitaliser sur une image de marque forte tout en faisant sa veille sur les tendances de l’information sur les réseaux sociaux en particulier. Même les médias plus traditionnels ne peuvent pas faire l’impasse sur ces dynamiques.

Ligne édito et traitement de l’actualité

Nous avons parlé utilisateurs, parlons maintenant stakeholders. Je ne vais pas tous les citer mais me concentrer sur le plus spécifique au domaine des médias : la rédaction

Les journalistes comme utilisateurs

Généralement au moins un rôle de PM va leur être entièrement dédié car le back office est le principal outil des journalistes. La mise en ligne d’articles étant le moteur d’un média en ligne, il y a un enjeu particulier à avoir un back office stable, avec une UX adaptée au métier de journaliste. On n’aimerait pas que, faute d’une UX limpide, soit publiée par inadvertance la nécrologie de la reine Elizabeth II avant l’annonce officielle de son décès, mais lorsque l’information est confirmée et qu’on appuie sur le bouton “publier” ce n’est pas le moment d’avoir une latence. Être le premier à publier une information comme celle-ci, ce sont de belles audiences à la clé et donc du revenu (publicitaire notamment).

Il en va du travail des journalistes au quotidien, l’intégration d’outils pouvant les aider à vérifier, corriger, enrichir leurs articles (l’IA apporte évidemment des perspectives dans ce domaine), le gain de temps dans la rédaction et la publication, et dans l’onboarding des nouveaux journalistes ou pigistes.

Mais au delà de son outil de travail un des enjeux phares de la rédaction c’est de pouvoir réagir à l’actualité, et le site ou l’app d’info doit aussi pouvoir jouer ce rôle.

La roadmap vs l’actualité

Prenons un évènement prévu longtemps en avance comme les élections présidentielles. On pourra prévoir une fonctionnalité qui présente un classement évolutifs des candidats selon les derniers sondages. Pour un média plus tourné people ce sera un diaporama immersif que l’on voudra lancer au moment du festival de Cannes.

Ceci avec l’inconvénient de poser quelques deadlines dans nos roadmaps, que les dieux du product nous pardonnent. Alors on prévoit aussi large que possible, quand c’est possible, mais on se sait, si tout pouvait être parfaitement anticipé la vie de PM serait un long fleuve tranquille.

Chaque secteur comporte ses lots d’imprévus, qu’il soient techniques ou business. Mais cet aspect est probablement encore plus présent dans les médias car du fait de l’actualité, l’imprévu est la norme. Une guerre, un mouvement social, les dérapages d’une personnalité publique : il faut pouvoir adapter son produit à tout type d’événement pour capter les audiences.

On réagit selon les moyens du moment avec le moindre effort tech si l’on n’a pas la bande passante. Par exemple au moment des soulèvements en Iran on aura apposé un logo dédié sur les photos des articles traitant du sujet. Puis on regrettera de ne pas avoir pu mettre l’évènement plus en lumière sur la homepage et on voudra créer un bloc personnalisable à activer pour les évènements majeurs, ce qui pose certains défis côté back et front.

L’actualité peut donc faire émerger de nouvelles idées de fonctionnalités qui paraissent indispensables sur le moment, mais le sujet d’actualité aura disparu des radars avant que la fonctionnalité n’ait pu être développée.

C’est alors le rôle des PMs de pondérer le poids de l’urgence éditoriale avec l’effort technique et l’impact business, pour choisir de prioriser ou non une feature. Répond-elle à un événement en particulier ou une catégorie d’événements ? Quelle serait sa fréquence d’utilisation potentielle, le gain d’audiences potentielles et les revenus publicitaires en découlant ?

Le choix de la priorisation se fait alors non seulement par rapport à une matrice impact/effort mais aussi par rapport à des choix éditoriaux et au regard porté par le média sur l’actualité.

Pour en savoir plus sur l’expérience du produit face à l’actualité je vous invite à lire notre entretien avec Bérengère Capdequi, Lead PM chez Franceinfo.

Vision produit et ligne éditoriale

La priorisation sera donc propre à chaque média et à sa ligne éditoriale : est ce qu’on se spécialise dans l’actu chaude (on veut des articles live) ou sur le temps long (on veut des rétrospectives, des décryptages). Est ce qu’on veut montrer que l’on cherche à faire référence à un corpus idéologique, à une ligne politique, ou se définir en tant qu’observateur impartial de l’actualité ? Le design d’un site ou d’une app média vous en dit déjà beaucoup sur son traitement de l’information.

screenshot homepage BFM
screenshot homepage disclose

Des choix design qui en disent long sur le média

En effet la vision produit découle nécessairement de la ligne éditoriale, dont le rôle est d’assurer la cohérence entre image de marque et production des contenus.

Enfin, l’actualité est également un défi pour la mesure du succès des features. Pour deux articles différents avec un même template, le contenu impacte très fortement la consultation. De même que la reprise d’un contenu par Google discover va créer un pic d’audiences ou du nombre de vidéos vues qui va fausser les moyennes globales. Un pic d’audiences doit donc être remis en contexte de l’actualité, tout comme une forte baisse des consultations en été, car les utilisateurs consultent moins l’actualité en vacances.

Pour en savoir plus

Il y aurait encore bien des sujets à aborder que je ne peux que survoler mais qui vous seront familiers si vous êtes ou devenez PM dans les médias : les différentes stratégies web et app, les enjeux presse et radio, la gestion du changement dans les médias qui ont construit leur image et leurs audiences sur les publications papier, les opportunités et menaces des IA…

Dans le prochain article de cette série nous aborderons un sujet particulièrement structurant pour le produit en général : le business.

Avec la particularité pour les médias de reposer pour un bon nombre d’entre eux sur un modèle publicitaires, les impacts sur l’UX peuvent être un vrai dilemme pour un.e product manager.

Si le sujet du produit dans les médias vous passionne, retrouvez aussi nos interviews de Guillaume Bance (Prisma Média), Antso Rakoto (France TV), Véronique Royer (France TV) et Matthieu Allemand (Okoo)

Je vous conseille aussi un des épisodes du podcast “Génération DIY” avec Guillaume Lacroix, le CEO de Brut.

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